La planification de tous ces kilomètres est finie, je suis là, devant la gare de La Rochelle, mon vélo supportant le poids de mes 2 sacoches bien remplies et du paquetage qui les surmontent, accroché n’importe comment par 4 tendeurs. Le vélo est lourd ! C’est la toute première fois que je le dirige avec une cargaison aussi lourde, la dernière fois c’était en rentrant des courses, quelques bouteilles d’eau dans les sacoches et une seule pensée qui me taraudait “putain, je vais en chier”.
De Vannes à Carnac
Je me doute bien, sur le quai de la gare, attendant mon premier train, que les kilomètres que je vais devoir avaler pendant les 24 prochains jours vont me demander une force mentale que je n’ai peut être pas, que je vais peut être devoir aller chercher très loin au fond de moi mais j’y vais quand même, c’est comme une envie de masochiste qui sait bien qu’elle va se faire du mal. Maso ou pas, j’y suis, j’ai mon guidon entre les mains et je hisse mon vélo dans le train qui m’amène vers Vannes. Le trajet jusqu’à Vannes est d’une longueur… Je reste près de mon vélo, absence de compartiment spécialisé oblige, il est calé contre celui de Dimitri, devant la porte des toilettes. Bucolique comme début de voyage.
On traverse une partie de la France sous le soleil pour finalement sortir du train, à Vannes, sous la pluie. Voyage pluvieux, voyage heureux ? La fatalité du climat breton nous fait sourire, la Bretagne entretient le cliché pour les premières minutes de pédalage, parce que bon, malgré la pluie il faut bien pédaler.
Si je devais décrire ces premières minutes de pédalage, là, avec tout ce que je sais des péripéties qui vont égrener notre voyage, je dirais que c’était comme un présage, comme un écho à cette petite voix qui me répétait avant le départ que j’allais souffrir. Et quelle souffrance ! Dès le début de notre voyage, alors qu’on se dirige vers le temple du sportif pour se charger un peu plus de barres énergétiques et autre jus de pipi hydratant, une montée. Là, rétrospectivement, je vous dirais que cette montée est assez banale, même plutôt ridicule, régulière en plus, bref, un jeu d’enfant. La moi du Jour 1 vous dirait que c’était un échauffement de bâtard digne d’une séance de crossfit, mon coeur s’emballe, j’ai la nausée et un goût de sang dans la bouche, bref, 10m de dénivelé positif et je suis déjà à moitié morte sur la piste cyclable. Après cette mise en bouche mon corps commence à peine à capter dans quel merdier je me suis embarquée et les quelques kilomètres qui suivent pour nous amener dans un bois près de Carnac pour notre premier bivouac sont déjà un écho douloureux pour mes fesses.
Le bivouac justement, parlons en. Une petite forêt sur le coin d’un sentier pas très loin avant la Trinité sur Mer, l’odeur de la mer et des pins, l’endroit parfait pour passer une première nuit en camping sauvage. Je traîne ma carcasse après Dimitri, encore plein d’énergie alors qu’il saute entre les fougères pour nous trouver un endroit suffisamment plat et caché pour passer une bonne nuit.
Je découvre les joies du petit réchaud à gaz et des pâtes à l’huile de noisette et puis surtout, le nettoyage ou plutôt le dépoussiérage de l’aventurier à vélo. Moi, l’adepte de la douche hebdomadaire, je prends le paquet de lingettes pour bébé qui va me servir de douche avec un regard dubitatif et une moue de princesse qui s’ignorait. La douche me manque, vraiment, beaucoup. Je colle de partout et le seul contact de ma peau contre ma peau, d’une partie de mon corps en touchant une autre me rappelle que je n’ai pas pris de douche. Je colle, c’est dégueu (ah la vie d’aventurière…). Pourtant il va falloir s’y faire parce qu’à moins d’une douche providentielle n’apparaisse dans le coin de notre tente ou que je me réveille brusquement dans ma chambre, je n’aurais pas de douche avant un certain temps. Je ravale donc mes angoisses de princesse et mes rêves d’hygiène, j’avale mes pâtes à l’huile et je me fourre dans mon sac de couchage pour ma toute première nuit de voyage à vélo, épuisée.
De Carnac à Priziac
Je me réveille pleine d’énergie comme si la journée d’hier n’était qu’un souvenir lointain, comme ma douche d’ailleurs. Alors qu’on remballe tout notre barda sous le beau soleil de Bretagne et qu’on reprend la route pour aller direction Carnac et ses mégalithes, j’inspire profondément l’air marin et celui du sentiment de liberté que me procure le vélo. Je m’étais toujours dit, avant de commencer le voyage, que j’allais adorer ce type de voyage, malgré les efforts, malgré les douleurs, la liberté que procure le vélo est incomparable aux autres formes de voyage. Peut être qu’on avance lentement mais dans aucun autre voyage je n’ai pu m’arrêter comme j’en avais envie, dans aucun autre voyage j’ai pu réellement apprécier ce qui se trouvait autour de moi, lentement, durablement. C’est avec cette satisfaction là que je cours sur le pont de la Trinité sur Mer pour capturer les premières heures de la journée sur le port et que je partage quelques minutes de conversation avec une passante aussi enthousiaste que moi sur le beauté de ce qui nous entoure. Je remonte sur mon vélo et je relance le mouvement, doucement, mon genou droit commençant déjà à grincer et à me faire grimacer.
Carnac. C’est notre destination. On ne voit pas les heures passées quand on pédale, surtout quand on pédale sans trop souffrir, sans trop se poser de question. On s’arrête quelques fois pour grignoter quelques barres et puis on fini par voir les panneaux qui nous mènent tout droit vers les mégalithes, premiers vestiges de notre voyage en Terres Celtiques. Je découvre les alignements de Ménec, monumentales et impressionnantes par leurs nombres. Pourquoi ? Pourquoi ces pierres là, érigées comme ça, à cet endroit là ? Le manque de réponses, de certitudes à ce sujet, me laisse rêveuse pendant que je me promène autour de l’enceinte qui protège le site. J’ai toujours aimé les sites historiques pour le bond dans le temps qu’ils font faire à mon imagination, j’essaye de voir ceux qui passaient là, des siècles avant notre ère, et ce qu’ils pouvaient bien y faire, dans ce champ de grosses pierres.
On quitte Carnac, la tête pleine de théorie et on reprend le mouvement routinier des pédales, les kilomètres sont avalés, doucement, tranquillement. On découvre la Bretagne et on enchaîne les découvertes, entre une énorme abbaye qui semble grignoter le ciel, un champ où les mégalithes côtoient les bottes de foin et un véritable champ de mégalithes aux abords d’une route. La Bretagne nous en envoie déjà plein la vue !
Les découvertes, ça creusent et notre prochain objectif est assez simple : manger. Mais pas manger n’importe quoi, non, manger local, manger des crêpes. Après des kilomètres, des villages avec plus de pizzerias que de crêperies, après des grognements de ventre effrayants et une petite montée bien costaud on descend enfin des vélos pour aller dévorer nos premières crêpes made in Bretagne. La serveuse s’étonne de notre appétit et nous refuse presque les 2 crêpes par personne qu’on souhaite prendre dès notre arrivée : “on verra après la première”. Elle a bien vu, elle a fini par nous les apporter.
Repus ce tout ce froment et du Breizh Cola on reprend, encore, la route et on s’enquille sur une voie rapide qui me fait vivre mon premier craquage du voyage. Les voitures passent à une vitesse folle près de nous et malgré la bande d’arrêt d’urgence très large, le balai incessant des véhicules qui filent à côté de moi et le décor lugubre de cette voie rapide ternissent mon moral. Je me retrouve sur le bord de la route, grignotant ma barre de céréales, des larmes plein les yeux et la fatigue plein le corps. Mais malgré toutes les difficultés que j’ai à reprendre courage et à supporter les voitures qui passent près de moi, je remonte en selle et je repars, je suis têtue et surtout, je déteste abandonner.
Le bivouac monté, après 85km d’effort, est une vraie délivrance pour moi, je jette mes affaires dans un coin de la tente, je me lave, cette fois à la bouteille d’eau, histoire d’avoir l’impression d’être propre, j’avale ma ration du soir et puis je sombre.
De Priziac à Morlaix
3ème jour sans se laver, comment vous dire… Je colle ? Oui, comme au premier jour. Dimitri m’assure que je vais finir par m’habituer, je doute un peu.
On sort de notre cachette secrète, on traverse à nouveau la forêt, on évite à nouveau les grosses racines qui m’ont fait suer la veille pour hisser le vélo et on se retrouve sur la route. Notre objectif aujourd’hui est d’atteindre Morlaix ou au moins les alentours. On traverse plein de petits villages bretons typiques avec des maisons de pierre et de hautes églises aux clochers pointus. Nos villages sont vraiment mignons vous ne trouvez pas ? On s’attarde parfois pour flâner au gré des panneaux qu’on peut voir et ces flâneries nous amènent devant une fontaine du XVII° perdue aux abords d’un des nombreux villages bretons qu’on traverse.
On s’arrête un instant et, la bouche pleine de barre de céréales, je prends le temps d’imaginer encore à quoi pouvait ressembler cet endroit quelques siècles plus tôt. Est ce que les nobles venaient ici pour se rafraîchir ? Avec leurs énormes robes de princesse. Ou est-ce que c’était les gens du peuple qui venaient puiser leur eau dans cette belle fontaine ? Je rêvasse mais il faut déjà repartir. Lever la jambe pour passer au dessus du cadre et reposer mes fesses douloureuses sur la selle est toute une épreuve ! Je grimace un peu, surtout qu’à toutes les douleurs préexistantes s’ajoute celle du genou gauche, sûrement jaloux du genou droit qui me fait souffrir depuis le début.
Malgré la préparation physique à laquelle je me suis soumise avant le départ je me doutais que mon corps allait devoir s’habituer à cet effort régulier. Les douleurs musculaires ne m’inquiètent pas trop, les courbatures, le fait d’avoir du mal à me baisser sous peine de faire surchauffer mes cuisses, tout ça je sais que ça passera une fois que le muscle sera habitué à être autant sollicité. Ce qui m’inquiète un peu plus ce sont mes genoux. Déjà sujette aux genoux en carton en France (mais sans activité physique aussi régulière voire intense), le fait de devoir supporter ces douleurs à longueur de journée me fait me demander si, un moment ou un autre, l’un de mes genoux ne va pas me lâcher purement et simplement. En attendant de voir si mes genoux supporteront les quelques milliers de kilomètres qui nous reste, je leur inflige au moins les quelques kilomètres du jour.
Nos coups de pédales nous amènent à Carhaix, la fameuse ville des Vieilles Charrues. Je monte en chantonnant la petite montée qui mène à la ville (je ne subis déjà plus les montées autant qu’au début!) et on découvre, aux détours des rues, l’essence même des villages bretons qu’on adore. On quitte rapidement Carhaix après avoir repris des forces et à notre sortie de cette charmante petite ville on a la surprise de tomber sur la piste cyclable VélOdyssée. Surprise surtout pour moi qui ne suit pas du tout Master of the Map et qui suit naïvement Dimitri dans toutes les directions sans vraiment me poser de question, en même temps niveau situation dans l’espace je suis une telle quiche que c’est mieux comme ça. On arrive donc à la VélOdyssée et là, le bonheur. Des kilomètres et des kilomètres de piste plate, sans voiture. Cet ancien tracé de chemin de fer qui sillonne à travers des portions de forêts bretonnes et rejoint Roscoff en passant par Morlaix est un véritable petit paradis pour cyclistes pour la rapidité qu’il nous permet d’avoir (on n’est pas là à suer sur des montées de déglingués ou à supporter la circulation) et pour la tranquillité qu’on y trouve.
On traverse donc plusieurs zones, entre forêts et zones plus “musées” où les bâtiments des anciennes gares se dressent et où quelques panneaux explicatifs nous donnent quelques indices sur l’évolution de ce fameux ancien chemin de fer. On grignote les kilomètres, vite et bien. Si vite et si bien qu’on se retrouve déjà près de Morlaix (enfin, vite, tout est relatif) et qu’il nous faut alors trouver un endroit pour planter la tente. Après quelques recherches infructueuses, Dimitri fini par sortir des bois et m’indique un chemin. “Ca va être chiant”, en même temps, monter les vélos dans les bois c’est toujours chiant. Comme la veille je pousse mon vélo à travers les racines dans des petits sentiers qui montent, le poids de mes affaires rendent l’ascension compliquée mais je finis par arriver à notre endroit de bivouac, près d’un tout petit sentier.
Je retrouve notre maison de toile, nos sacs de couchage, les lingettes pour bébé et puis mes pâtes à l’huile mais ce soir a un goût différent des autres soirs, ce soir je suis contente et plus seulement épuisée. Alors qu’on fait le décompte des kilomètres parcourus, un bruissement de feuilles au loin et puis des voix. On râle un peu, comme par hasard des gens sur ce minuscule sentier loin du sentier principal. On arrête presque de respirer quand on entend passer devant notre tente un groupe de randonneuses bavardes. Elles n’ont pas pu nous louper, elles passent à 1m de la tente, et pourtant elles nous ignorent royalement. Après quelques minutes d’apnée on respire à nouveau, on est seuls sur notre petite parcelle de forêt, on reprend notre routine du soir. 200km de fait, demain on quitte la Bretagne pour l’Angleterre,déjà.
L'itinéraire
Le guide pratique
Le végétarisme est aisé si vous mangez des crêpes ! Je vous conseille de vous arrêtez à la crêperie Hent Er Mor à Kervignac, près de Lorient, à l’entrée de la ville, pour de très très bonnes crêpes et un accueil vraiment génial !
Si vous êtes un peu pressé comme nous (ou pas d’ailleurs !) avant de prendre le ferry à Roscoff je vous conseille de faire une halte à la crêperie Tal An Iliz.
On a bivouaqué pour chacune des nuits passées en Bretagne, le bivouac est donc possible et assez simple que ce soit sur la VélOdyssée ou en bord de route, il y a beaucoup de forêts qui vous permettent de bien vous cacher pour bien dormir mais attention aux tiques !
Je vous conseille évidemment de vous arrêter à Carnac pour découvrir les Mégalithes, le site est gratuit si vous restez en dehors des barrières de sécurité.
La Trinité sur Mer qui est une petite ville vraiment charmante avec une très belle vue de la baie lorsque vous êtes sur le pont !
Les mégalithes de Plouharnel que vous pouvez apercevoir dans un champ, n’hésitez pas à y mettre les pieds si le champ a été labouré, certaines sont assez loin.
Les mégalithes d’Erdeven qui se trouvent sur le bord de la route à l’entrée du village, inratable !
14 Commentaires
Te lire est toujours un Plaisir !
😉
Merci <3
ouille j avais mal pr toi
et pas se laver j imagine même pas
suis une vrai chochotte moi
hâte de lire la suite
Ahah, on oublie vite le côté princesse une fois qu’on a la technique ! Les douleurs par contre… On les subit un peu :p Merci !
Une telle distance en si peu de temps! je suis impressionnée car si la Bretagne n’est pas la montagne , elle n’est pas plate pour autant!
Merci Agnès ! Effectivement ça n’est pas très plat mais c’est, la plupart du temps, assez régulier, ce qui facilite le parcours ! Attend de lire la suite… Ça se corse ! 😉
Bravo pour ce superbe article magnifique, hyper pratique et utile. Je comprends le courage mental qu’il faut pour se lancer dans ce type d’aventure ! et je trouve ça super que tu l’aies fait. J’adore la Bretagne, si typique, pittoresque, belle… il faut vraiment que j’y consacre plus de temps.
Merci ! J’avais peur qu’il soit trop long, je n’ai pas l’habitude de m’épancher autant 😀 Mais je trouvais plus juste de suivre à la lettre mon journal de voyage (qui était parfois écrit presque en morse tellement je n’avais plus la force d’écrire !).
Avec du recul je peux dire que c’était un beau voyage, je suis fière d’être arrivé jusqu’au bout mais comme j’ai pu détester parfois 🙂 C’est vraiment beaucoup plus dur mentalement que physiquement ! Mais les beaux paysages m’ont aidé, beaucoup, à penser à autre chose. Je ne connaissais pas du tout la Bretagne, typique c’est le mot et belle aussi 🙂 C’est une superbe découverte et je me dis comme toi, il faut que j’y consacre plus de temps !
Nous avons fait Saint Malo – Granville, mais en version moins chargés ;p et en dormant au camping pour pouvoir se laver ;p En tout cas Carnac a l’air super, je rêve d’y aller, mais ce ne sera pas encore pour tout de suite.
Ca fait une centaine de bornes ? Il y a des pistes ou juste de la route ? Bravo en tout cas 😀 Vous êtes passés par le Mont Saint Michel ? 🙂 Je ne connais pas du tout la zone mais ça doit être super beau !
Ahahahahahah ! J’ai trop adoré te lire ! J’ai bien rigolé !
La douche, c’est vraiment le truc dont je ne peux pas me passer… même en voyage (bon, je n’en ai pas fait énormément), je ne peux pas me passer d’une douche – NO WAY !
Bon… après, j’ai envie de dire, tu croises des gens que de toutes manières tu ne reverras jamais alors ce n’est pas si grave de sentir le foin (tu te rappelles: voiture – resto – sista – déo bio – odeur d’oignon XD).
Enfin sinon tu écris super bien, je me suis complétement imaginé les scènes et les photos sont à tomber par terre !
Bisous
S.
P.S: “en même temps niveau situation dans l’espace je suis une telle quiche que c’est mieux comme ça” – LOLILOL !!
Ahahahah oui je me rappelle de l’odeur d’oignon ! Au bout d’un moment, de 3 jours de sueur mis les uns sur les autres, tu tends à t’habituer à ta propre odeur même si forcément, t’es au courant que tu sens pas la rose… Mais je pense que je me souviendrai toujours de la première douche après plusieurs jours de vélo, c’était juste trop génial… L’extase !
Merci pour ton commentaire <3
Quelle bonne idée! Quand je repense aux nombres de km parcourus en vélo quand j’étais enfant, je ne comprends pas pourquoi je n’ai jamais fait ce type de voyage!
Mais l’épreuve de se remettre en selle doit être terrible surtout après autant de km. Je me plains déjà sans avoir commencé. Ce n’est donc peut-être pas fait pour moi. Mais quelle belle aventure 🙂
Les matins étaient parfois un peu compliqués mais ma tendance un peu hyperactive reprenait vite le dessus, j’avais toujours de l’énergie pour râler malgré la fatigue ahah. Il existe aussi des parcours plus courts en France, quelques jours de vélo, ça se tente 😉