Mon histoire d’amour avec Mdumbi aura duré 3 jours, oui c’est court mais ça a été passionné, passionnel. Mdumbi et moi on s’est tout de suite entendu et ici, au coeur de la communauté Xhosas, j’ai appris plus sur l’Afrique du Sud que je n’en ai appris de mes moments passés sur la Garden Route ou à Cape Town.
Mon voyage dans ce petit paradis se clôt avec 2h en kayak sur la rivière Mdumbi avec Notshana qui me parlera pendant 3h ininterrompues de sa vie, des croyances de son peuple, des défis auxquels doit faire face son pays.
La culture Xhosa et la violence de l'apartheid
Notshana a décidé il y a 8 ans que la rivière de son enfance, celle qui l’a vu grandir, était celle où il s’installerait et celle qui le ferait vivre. Ici l’océan Indien voit l’un de ses bras nourriciers se perdre dans les méandres des collines vertes de Mdumbi, dans les mangroves, dans les forêts. Quand Notshana a décidé de s’installer là avec l’aide de Transcape il savait déjà que tout était à bâtir mais les soutiens étaient là et lui ont permis de bâtir aujourd’hui une petite entreprise de 9 kayaks, 15 places pour les touristes ou les locaux de passage. Son bébé compte aujourd’hui 2 employés, tous les 2 sont des hommes de la communauté et plus tard il espère pouvoir en recruter 2 de plus pour mener les kayakistes tout au long de la rivière, débusquer les gros lézards, les petits oiseaux ou les singes un peu timides.
Pour nous ce sera un kayak tout jaune qui pèse une tonne. Mon expérience à moi dans ce genre d’engin flottant est assez réduite si on prend en compte mon escapade en canoë sur le lac Bunyoni ça sera en fait la deuxième fois que je prends des pagaies entre mes mains. La rivière est tranquille, je pense que je m’en sortirai.
Après quelques coups dans l’eau la conversation reprend sur un tout autre sujet lorsque je demande à Notshana pourquoi les Xhosas ne s’installent pas près de l’eau. Ici on peut voir des maisons éparpillées à peu près partout entre les collines ou à leurs sommets mais l’absence de ces petites maisons rondes près de l’eau m’intrigue. Est ce que les gens ne sont pas censés s’installer près de l’eau ? Comme Mama Mzolo a pu le faire avant lui, mon guide me raconte ce que sa mère lui racontait lorsqu’il était petit. Ici les gens ne viennent pas près de l’eau parce qu’ici les gens craignent les zombies. Cette légende à laquelle il ne croit plus aujourd’hui nous amène dans une de ces grandes conversations alambiqués entre cultures si différentes. Tu penses que les zombies existent toi ? Mais les zombies ça vient d’où de toute façon ? Sauf qu’une conversation un peu bizarre débouche parfois sur des discussions beaucoup plus sérieuses.
Quand il est question de ces maisons loin de l’eau Notshana me dit aussi que sa mère lui racontait que seuls les blancs pouvaient s’installer près de l’eau parce qu’eux avaient des fusils, eux ils pouvaient tuer les zombies. L’apartheid a aussi marqué le pays Xhosa au fer blanc.
Quand je lui demande s’il y avait des singes ici avant dans les arbres il me raconte qu’il y en avait beaucoup à l’époque de ses parents, encore plus à celle de ses grands parents. Lui n’a connu que la fin de l’apartheid mais les histoires qu’on lui racontait lorsqu’il était jeune parlaient de ces moments où les blancs, les Afrikaners, refusaient aux noirs de posséder des troupeaux, de posséder un véritable moyen de subsistance. Je le fais répéter peut être 5 ou 6 fois, comment, vous ne pouviez pas voir de troupeaux ? Pourquoi ? Il hausse les épaules. Les blancs avaient décidés. Alors les singes ont été décimés parce qu’il fallait bien manger. Nos conversations s’égrènent au fur et à mesure de nos coups de pagaies, on file doucement sur la rivière et je m’émerveille toujours autant de ce qui m’entoure, du calme qui règne dans ce petit bout de terre et d’eau.
Ces 3h filent presque trop vite, les conversations sautent d’un sujet à un autre dans une logique qui m’échappe presque aujourd’hui, c’était plutôt dans un illogisme total. Notshana croit aux sorcières, il en a vu une un jour, nue dans la rue. Elle racontait qu’elle voyageait dans un bus en pain et qu’elle est apparue ici sans savoir comment ni pourquoi. Mon guide me demande si on croit encore aux sorcières chez nous et je souris.
Il me dit d’arrêter de pagayer et de regarder l’eau. Un peu troublée par notre entrée dans les terres, j’attends, le silence nous englobe et soudain une petite tête gélatineuse marquée d’une croix sur le haut agite ses tentacules translucides. On est encerclés par les méduses. Partout autour dans cette petite portion de rivière nagent tranquillement ces petites ou grosses bêtes. Qu’est ce qu’elles font là ? Notshana ne sait me répondre, elles sont apparues il y a quelques années seulement à cet endroit de la rivière et pas à un autre. Je tente de prendre quelques unes de ces créatures en photos et puis je me laisse emporter par la vision de ces dizaines de dizaines de petits visiteurs.
Lorsqu’on met le pied à terre à la fin de notre après midi, le ciel est redevenu gris presque en même temps que nos conversations. La religion, la politique, au final tout ou presque y passera. J’apprendrais son point de vue sur son président alors que jusqu’à maintenant seuls les blancs m’avaient fait entendre leur voix sur la décadence présidentielle de l’Afrique du Sud. On parlera de ce monde qui s’embrase, qui s’enflamme, de ces hommes extrémistes qui en veulent à la plus simple des vies. On s’arrête à quelques pas de la salle commune de Mdumbi, fatigués mais satisfaits, et on se sépare dans un sourire en se disant que le monde est vraiment riche de ces différences entre les peuples.
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