Si vous suivez mes pérégrinations vous avez peut être vu passé l’info capitale de ma vie : j’ai quitté la zone genevoise (ouf, enfin) pour partir me terrer dans la montagne, loin de tout, toujours plus loin, en Maurienne. Vous ne connaissez pas la Maurienne ? Dommage pour vous et en même temps je ne vous en veux pas trop ! La Maurienne c’est une zone située en Savoie qui s’étend de la frontière italienne jusqu’à pas très loin de Chambéry mais c’est surtout une zone magnifique, encore assez sauvage et où vous ne croiserez des touristes qu’en hiver, stations de skis obligent. Ce côté sauvage m’a très vite plu et on s’est rapidement décidé à faire, si possible, au moins une randonnée dans les environs par semaine avant que la neige ne bloque tout ou presque (même si, début novembre il a déjà commencé à neiger…).
Après des petites marchouillettes on se décide donc un beau matin d’octobre à chausser les baskets pour se lancer dans une véritable randonnée. Je ne prépare rien, Dimitri, fou de cartes, à planifier notre marche et m’indique 3h de randonnée, petite rando donc et surtout grosse arnaque de mon bien-aimé, vous allez vite comprendre pourquoi. Nous décidons donc de partir en direction du Mont Cenis, nous y jetons la voiture et commence alors l’ascension des premiers mètres pour rejoindre le Fort de la Turra.
Le paysage est aride, il n’a pas plu ici depuis quelques temps et le sol montre les stigmates de la sécheresse. L’air est si froid que je suis enveloppée dans mon gilet et mon coupe-vent, bonnet vissé sur la tête. La montée vers le Fort est assez rude et mon pauvre cœur s’emballe assez vite, on est à plus de 2000m d’altitude déjà et notre premier objectif pointe à 2400m, tout ça répartit sur une courte distance, bref le dénivelé est assassin. Le chemin serpente et je m’arrête assez souvent, tant pour reprendre mon souffle que pour profiter du calme qui règne autour de moi. Personne aux alentours, nous sommes parfaitement seuls pendant notre montée ce qui m’étonne et me réjouit en même temps, j’adore cette sensation d’être seule au monde.
La première étape de notre randonnée s’achève sur une montée à flanc de cailloux, les mains solidement accrochées à la corde je gravis les derniers mètres avec pour seul objectif d’enfin pouvoir assouvir ma faim, ma pizza chèvre/miel hurle mon nom dans mon sac et mon ventre hurle le sien dans mon corps.
La vue du haut de ces 2400m est fantastique, les montagnes au loin sont déjà poudrées de neige alors que derrière moi le lac du Mont Cenis et son bleu profond s’étend de toute sa longueur et toujours personne pour troubler ce moment de calme et ce silence qui me prend une fois assise au milieu des bouses de vaches. Ici il n’y a rien, rien que Dimitri, moi, les montagnes, les bouses et ce vieux fort en ruine qu’on aperçoit à peine tant il se fond dans le paysage, comme construit à même la montagne.
Notre repas avalé on décide d’aller inspecter cet ancien fort militaire. Construit à la fin du XIXème le fort sera surtout connu pour des évènements qui ont eu lieu pendant la Seconde Guerre Mondiale, d’abord grâce à la garnison française qui repousse en 1940 un offensive italienne et après pour avoir été lieu de résidence et d’observation d’une garnison allemande pendant quelques mois entre 1944 et 1945. Aujourd’hui le fort est totalement vide, alors qu’on s’approche de l’entrée on remarque quand même qu’il n’est pas tout à fait laissé à l’abandon puisque le pont levis est encore en bon état et que des traces nous indique qu’il est visité et entretenu, pour certains bâtiments, par une association. En entrant je me dis d’abord que c’est un petit fort, et que la garnison en place devait bien se les cailler en hiver, mais en fait le fort s’étend sur toute la longueur du pic sur lequel il se trouve et je passe devant plusieurs bâtiments avant d’arriver au bout. Le Fort est en fait assez gigantesque et des galeries souterraines ont même été construites pour permettre l’observation de tous les côtés, y entrer m’a donné le sentiment de pénétrer dans les mines de la Moria, nains squelettes et troll énervé en moins.
La suite de notre marche doit nous emmener jusqu’au Pas de la Beccia, à 2700 mètres environ et surtout à au moins 4 kilomètres. Voilà plusieurs heures que nous sommes partis et je commence doucement à me rendre compte que Dimitri a légèrement atténué la réalité de la marche. 3h hein ? Non en fait plutôt 6 ou 7h. Au final le temps de randonnée m’importe assez peu, pouvoir gambader dans la montagne, dans un paysage si unique et surtout (surtout !) totalement seuls, j’adore ! Plus nous marchons, plus le paysage défile lentement et plus j’ai une impression de fin du monde, vous savez, quand vous êtes si seul au milieu de rien que vous avez presque l’impression d’être dans un blockbuster américain ou dans The Walking Dead, à traverser des paysages vides de présence humaine ou presque. Mes délires apocalyptique sont ravivés lorsque nous passons devant d’anciens baraquements en ruines qu’on associe très vite au Fort de la Turra puisqu’ils semblent relier par des fils de communication ou de ravitaillement. Le Fort d’ailleurs qui est totalement dévoré par le pic sur lequel il se trouve, quelques kilomètres plus loin on ne l’aperçoit presque pas et j’admire cette prouesse humaine d’avoir réussi à bâtir quelque chose de si énorme et pourtant de si discret dans le paysage.
On gravit encore et encore sur des chemins faits de petites ardoises, le paysage n’est qu’herbes cramoisies, ardoises grises et montagnes au manteau blanc. Au détour du chemin Dimitri s’arrête et me montre une inscription gravée à même la roche, R.F, République Française, le reste des inscriptions est illisible et on se demande si ici n’était pas l’ancienne frontière de notre douce République. A une certaine époque nous serions donc arrivés en terre italienne ! Un nouveau bâtiment en ruine quelques mètres plus loin nous conforte dans l’idée d’une position stratégique, on laisse derrière nous un petit bout d’histoire de France et je me reprends à rêver, pas d’apocalypse cette fois mais du passé et de tous ceux qui ont foulé ce chemin avant nous.
La montée se termine au bout du chemin, un léger virage sur la gauche, le silence brisé par le piaillement de quelques oiseaux et puis le paysage qui éclate devant nous. Le lac du Mont Cenis s’étend devant mes yeux, la brume au loin est comme une frontière naturelle, là-bas c’est l’Italie, celle d’aujourd’hui. Je m’assois à côté de ce gros bloc de pierre penché par les années qui indique qu’ici était la frontière entre Italie et France à un moment dans l’Histoire, au XIXème siècle pour être précise, en 1892 je serais assise pile sur la frontière, un peu en Italie, un peu en France, encore un petit bout du passé.
Je profite de quelques instants tout en haut avant de débuter la descente par le chemin qui serpente et qui est vraiment, vraiment très raide. Genoux pliés, pieds en canard, petits pas rapides, ça va qu’on est seuls, je ne suis pas sûre de mon allure sur le moment. Je m’arrête souvent, j’ai du mal à ne pas prendre mon appareil photo pour immortaliser le paysage qui s’étend autour de moi, toujours cette herbe jaune, toujours ces ardoises grises et ces montagnes à la tête blanche mais pourtant tout est totalement différent sur ce versant. On se croirait presque dans les grandes étendues de toundra, en Mongolie. Tout est beau, les collines sont comme des bosses sur la plaine, la lumière est douce et pourtant suffisante pour les mettre toujours plus en valeur, chaque centaines de mètres descendus est comme une nouvelle découverte des mêmes bosses, des mêmes collines ou montagnes. Le paysage change à mesure de ma descente et je me retrouve un peu comme les impressionnistes, comme Monet, émerveillé par le changement des éléments à chaque minute de la journée.
La journée d’ailleurs est déjà bien entamée et quand on parvient enfin aux abords du Lac du Mont Cenis je suis exténuée. Le chemin n’est plus trop ardue, les montées et les descentes raides sont derrière moi mais j’accuse le coup de plus de 5h de randonnée. On retrouve la civilisation assez vite, la douce odeur des bouses de vaches, de l’épandage, le bruit des voitures et des congénères bipèdes qui profitent comme nous d’une belle journée d’octobre avant que tout ce qui nous entoure soit recouvert d’un épais manteau blanc. Le retour à la réalité est presque trop violent et on s’écarte vite de la route pour traverser les patûrages et éviter ces rencontres qui nous sortent de notre douce bulle de solitude. Après quelques acrobaties pour éviter les lignes électriques et les petits cours d’eau il faut quand même accepter le retour à la civilisation. Je jette mon coupe vent dans le coffre de la voiture, me mange douloureusement la portière avant dans la figure histoire de bien comprendre que les rêves apocalyptiques sont terminés et on repart vers notre chez-nous, loin de tout ou presque.
10 Commentaires
Alors là ma Belette, tu m’as littéralement transportée avec toi dans cette randonnée. Tes photos sont extraordinaires, j’adore.
J’avais l’impression de sentir l’air, le vent, tout tellement c’est bien écrit. Bravo à toi <3
Oh merci Mimi ! Ca me fait ultra plaisir 😀 <3
Voilà j’ai envie de montagne maintenant ! Par contre la randonnée de 6-7h, on attendra un peu 🙂
Ahah, j’étais pas prête non plus, totale entourloupe !
Ce lac est vraiment beau ! J’avais beaucoup aime le trail la bas. Il faudra que j’y retourne tester cette rando !
Oui, il est magnifique ! Notre parcours suit en partie celui du trail pour le début, tu connais au moins cette partie là 🙂
Encore une belle aventure à ton actif !
Belle nature encore et encore
Belle ascension et belle découverte à travers tes photos
Belle histoire également (pizza chèvre/miel & mines de la Moria = Excellent) … joliment contée par … une Belle aventurière !
En clair, que du … Beau !
😉
Il ne te reste plus qu’à venir faire un tour dans ces belles montagnes 🙂
J’adore tes photos, les couleurs, l’ambiance ! Pas besoin d’aller à l’autre bout du monde pour en prendre plein la vue !
Merci Charlène 🙂 Je suis bien d’accord avec toi !