Un safari au Parc de l’Akagera au Rwanda

On rentre dans le parc, ballotés de tous les côtés, la route est mauvaise mais pourrait être pire. On avance au pas, attentifs à ce qui nous entoure, à chaque mouvement de feuilles, à chaque souffle du vent. Mon souffle à moi est coupé, devant la beauté de l’Akagera, devant la grandeur de ce parc, devant cet échantillon, ce survivant de ce que le Rwanda était il y a des centaines d’années. Des collines à perte de vue, le silence, la Nature, l’Akagera survit.

Je dis bien “survit”, le terme est le plus approprié quand on connaît l’histoire de ce parc qui a vu le pays se déchirer, se reconstruire et le déchirer lui, l’Akagera.

L'histoire du Parc de l'Akagera

Le parc de l’Akagera voit le jour en 1934, époque du protectorat belge, bien avant que tout déraille dans le pays. Le parc fait alors 2500km², un petit parc pour un petit pays. Créé pour les besoins de recherche sur la vie sauvage, dès le début la gestion en est chaotique et totalement absurde puisqu’on éradique tous les lycaons de peur qu’ils ne chassent tous les animaux. Pour un parc créé pour les besoins de la recherche sur la vie sauvage j’imagine que vous devez, comme moi, assez mal comprendre l’intérêt de tuer une population entière de prédateurs. Petit rappel de circonstances : non dans un écosystème où les animaux vivent naturellement ( sans avoir été introduits par l’Homme ) et ce depuis des centaines d’années, il est assez peu probable que d’un coup ils se mettent à éradiquer d’autres espèces. Tout est réglé à la perfection. Dans tous les cas les lycaons ont été éradiqués, laissant le parc aux autres prédateurs type hyènes et lions ( encore plus paradoxal de les laisser eux ! ).

Dans les années qui ont suivis l’instauration de la zone comme Parc National l’endroit a été progressivement repeuplé de différents animaux comme des girafes ou des éléphants qui ne se trouvaient alors pas dans le parc mais dont on avait trouvé des traces anciennes sans vraiment comprendre pourquoi ils avaient quittés la zone en premier lieu.

Les éléphants de l'Akagera

La réintroduction des éléphants dans le Parc de l’Akagera est une histoire intéressante qui est un exemple de plus de la mentalité du pays que j’ai pu expérimenté ces dernières semaines.

En 1973 (période post-coloniale), alors que des éléphants peuplent la zone de Bugesera non loin de Kigali, le président de l’époque demande à ce qu’ils soient déplacés, loin de la capitale dans un espèce d’ultimatum précipité “1 mois pour les déplacer ou ils sont tous tués“. La population d’éléphants de le Bugesera s’élève alors à 180 individus, des familles, des matriarches, des jeunes. Face à l’urgence la personne chargée de s’occuper de ce “problème” demande alors l’aide des américains afin de pouvoir se servir d’hélicoptères pour transporter les animaux dans le Parc de l’Akagera sauf qu’ils sont 180. 180 pachydermes à transporter dont des adultes de plusieurs tonnes. La problématique est trop grande, la solution expéditive. Les adultes sont tous abattus. Sur les 180 individus seuls 26 jeunes seront choisis pour être transportés dans le parc.

Alors traumatisés d’avoir vu leurs familles décimés on confie les animaux à des cornacs qui vont s’occuper d’eux pendant quelques temps avant qu’ils soient relâchés sur un territoire restreint pendant 2 ans, comme une habituation de leur nouveau lieu de vie. Après ces 2 ans on leur ouvrira les portes pour qu’ils prennent possession du parc qui fait alors 2500km².

Le Parc de l’Akagera devient alors à cette période l’un de ces parcs où peut être observer le fameux Big 5, ces 5 espèces qui définissent l’Afrique dans l’imaginaire. Cette période de prospérité durera pendant 20 ans.

Les conséquences de 1994

Le Rwanda vit une période troublée, le génocide pousse les populations à fuir, de manière totalement désordonnée vers les frontières, vers les montagnes, loin de Kigali. Akagera devient alors une terre de refuge pour la population qui s’y réfugie et s’y implante de manière permanente. On met en place des cultures pour nourrir les réfugiés, on élève des vaches, animal adoré d’une partie de la population, et tout ça dans le parc, sur le territoire des lions.

Des lions, des vaches, vous avez une idée du résultat ? Je pense que vous pouvez imaginer les conséquences premières de la cohabitation entre ces 2 espèces. Le Parc n’étant pas clôturé, les lions côtoient les vaches et les lions se nourrissent de ces vaches tant aimées. La solution est alors radicale, démesurée, immonde. Les carcasses sont empoisonnées, les lions, qui ont un odorat peu développé, ne distinguent pas le poison au contraire des autres prédateurs et petit à petit, les 300 lions de l’Akagera meurent, les uns après les autres, jusqu’à l’extinction totale de la population du parc.

Non contents d’avoir exterminée une population entière de lions dans le Parc l’enchaînement des événements conduit le gouvernement a proposer la totale suppression dudit Parc ( bah oui, on a pas encore assez foutu en l’air la biodiversité du pays ! ) dans l’idée d’en faire des cultures, partout partout des cultures. Et ça aurait été le cas si le pouvoir de l’argent n’avait pas rappelé à l’ordre le gouvernement. Une ONG allemande qui versait alors des subventions au pays menace de se retirer et d’emporter jusqu’au dernier centime avec elle, le résultat est un compromis entre la totale suppression et la totale réhabilitation du parc : il sera amputé de 50% de sa superficie. De 2500km² le parc passe à 1250km².

Aujourd’hui l’Akagera fait toujours 1250km², le Parc reste l’un des plus petits d’Afrique mais il ne perd pas de son charme et l’endroit est vraiment l’un des plus beaux qu’il m’est été donné de voir. Il représente le Rwanda d’avant la surpopulation, ses collines verdoyantes, ses animaux libres (ou presque) et ce calme qui vous transperce.

La renaissance de l’Akagera est relative, non le parc ne récupérera probablement jamais sa moitié amputée il y a 20 ans, la population du pays s’infiltre dans chaque recoin possible, le Rwanda compte 12 millions d’habitants, plus de 400 personnes au km² alors rendre à la Nature les 1250km² qu’on lui a volé reviendrait à supprimer les cultures de dizaines de milliers de personnes. Le pays est proche de l’implosion démographique, si quelque chose se passe ici dans les années à venir ça n’ira pas dans le sens du parc.

Alors une renaissance ? Une minuscule, qui peut paraître presque ridicule quand on se rend compte de tout ce qu’on a enlevé à l’Akagera ces 80 dernières années.

La réintroduction d'espèces et les lions de l'Akagera

Depuis quelques semaines les quelques kilomètres carrés de l’Akagera accueille 7 nouveaux pensionnaires, 2 lions et 5 lionnes tout droit venus d’Afrique du Sud.

Ces animaux autour desquels est fait un lobbying presque indigeste se retrouve propulsés comme tête d’affiche d’un parc dans lesquels des cousins à eux ont été tués il y a 20 ans. Le Rwanda se repent, le Rwanda s’excuse, le Rwanda tente de se rattraper pour ce génocide animalier. Quand on m’a parlé de ces 7 lions la première chose que je me suis demandé c’est comment était géré le groupe. Est ce qu’ils sont arrivés tous ensemble ? Est ce que c’est un groupe déjà établi ?La problématique qui se posait avec un groupe déjà établi c’est des risques de consanguinité dans les générations futures. Le plan de réintroduction prévoit que les lions se scindent en 2 groupes, un mâle à la tête d’un groupe de femelles pour éviter toute consanguinité. Pour le moment les groupes ne sont pas formés, les lions équipés de collier GPS seront suivis sur les 2 premières années de leur découverte de l’Akagera puis les colliers se détacheront et ils feront leur vie. A noter que ce sont des jeunes lions, asseoir leur dominance sur des femelles ne se fera pas dans un laps de temps court.

Si les lions sont les derniers arrivés dans le Parc ils ne sont pas les derniers pensionnaires prévus sur la liste de réintroductionSi vous avez été attentifs, je vous ai parlé plus haut du fait que le Parc abritait le Big 5 il y a quelques années, ce Big 5 c’est les lions, les éléphants, les buffles, les léopards et les rhinocéros. Mais à l’heure d’aujourd’hui vous ne verrez aucun rhinocéros dans le Parc, tous tués ( eux aussi ) lors du génocide pour la presque trop basique vente des cornes. Même si ce n’est qu’une idée il semblerait que le Parc, aujourd’hui géré par un sud africain, décide dans les années à venir de réintroduire le dernier membre manquant du Big 5 rwandais, comme pour retrouver le prestige d’avant génocide.

En fait tout dans l’histoire de ce parc, dans sa gestion actuelle, dans les décisions qui sont prises, tout est lié au génocide qui a secoué le pays en 1994. Aujourd’hui le Rwanda tente de valoriser ce parc en y réintroduisant des espèces qu’on a exterminé à l’époque de ce tragique événement. Des clôtures entourent les abords du parc côté Rwanda et ça s’explique assez simplement par le fait que dès la porte franchie vous pouvez voir des vaches. Alors pour éviter le fiasco de la première cohabitation lions/vaches on clôture les 1250km² du parc. Et après ? Lorsque les rhinocéros seront de retour le lobbying pourra tourner autour de ce Big 5 en plein cœur de l’Afrique, comme une réussite incontestable de ce pays à la politique bancale. Pourtant j’ai l’impression que le Rwanda oublie un facteur qui est pourtant l’un des plus importants: comment gérer dans quelques années les populations grandissantes dans le parc ? 1250km² seront-ils suffisant pour accueillir ce Big 5 dans 50/100 ans ?

Mise à jour

Il est aujourd’hui possible de voir des rhinocéros noirs dans le parc de l’Akagera ! Vous aurez donc peut être la chance de voir l’un des 17 rhinocéros lors de votre visite du parc.

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3 Commentaires

  1. […] pays qui veulent tout mais n'y mettent pas toujours du leur. Comme je vous en parlais au retour de mon voyage à Akagera j'ai pu me rendre compte par moi même de l'étendue du parc, des possibilités qui s'offraient au […]


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